I/INTRODUCTION
Le corps de l’enfant a toujours été un lieu de décharges de violence de la part des adultes. Si, dans notre civilisation le père n’a plus le droit de vie ou de mort sur son enfant, les coups avec des instruments , les fessées, les gifles, les bousculades, les secouements, les blessures psychologiques, les humiliations restent de mise et semblent banalisées . Les petites phrases telles : “Il n’en est pas mort! Une fessée ne peut pas faire de mal! Il en verra d’autres!Il faut lui forger le caractère!” ” viennent stopper toute éventuelle remise en cause des pratiques abusives, effacer toute trace des forfaits parentaux et absoudre le “malheureux” parent “qui n’en peut plus! et “qui n’a pas demandé à avoir un enfant pareil!”.
Battre un enfant, c’est lui faire mal et l’entraîner vers la destruction de son être, non seulement parce que sa peau, ses muscles, ses tendons et ses os sont atteints mais c’est aussi et surtout parce que l’enfance est la période de la vie où le corporel et le psychique sont si intimement liés , intriqués et articulés que violenter l’un revient à violenter l’autre.
Les blessures par mots attaquent et font mal dans le corps: “Il a eu le mot qui tue, elle m’a cassé les pieds , la tête, sa phrase m’a refroidie, son injure m’a scié sur place, j’ai reçu un coup dans le ventre en l’entendant”, etc… Un mot dévalorisant, humiliant, injuriant provoque des constrictions abdominales, des sueurs froides, des élancements dans le dos, des oppressions dans la poitrine. Le silence d’autrui nous annule, nous nie, nous méprise, nous fait ne plus exister, nous donne envie de disparaître dans un trou de souris ou de mourir.
Comme les violences corporelles, les violences symboliques touchent le corps , mais si chez l’adulte une autonomie relative s’est installée entre les deux registres du corporel et du symbolique, si l’adulte se remet d’une humiliation, d’un silence gommant, d’une injure dévalorisante, l’enfant sous l’impact des violences ne parvient plus à se structurer, à construire une image de lui suffisamment valorisée et soutenante, à se définir comme un sujet désirant.
Les liens psychocorporels sont mis en péril et les conséquences seront plus ou moins dramatiques tant au niveau psychologique qu’au niveau somatique.
II/ LA VIOLENCE DES MOTS
Une violence[1] , c’est une conduite qui chosifie l’autre et qui l’instrumentalise. C’est une conduite qui se fixe comme but de rendre l’autre dépendant et de le détruire en tant que sujet libre.
Les violences symboliques passent par les mots, les postures, les gestes signifiants et les absences de mots.
Les violences symboliques visent à humilier la personne, à la dégrader, à lui faire perdre sa valeur d’être humain.
1/ les mots
Le violent utilise les mots comme des coups comme des armes , pour humilier, détruire, asservir l’autre
–on entend souvent dire: “il a le mot qui tue”,
“il sait dire des choses qui blessent”.
Les mots viennent à la place des coups
Les injures
-sale arabe, sale juif, sale chrétien, sale communiste
– les automobilistes hargneux qui font des bras d’honneur, des doigts
les dévalorisations
-les dévalorisations par sobriquets: la grosse, le bigleux, le connard
-les dévalorisations par injures :” tu es trop bête”
les violences symboliques dans les familles
C’est évidemment dans les familles que les violences psychologiques commencent et ancrent dans l’enfant l’interdit de se rebeller, de réagir, de s’opposer, de s’affirmer .Plus tard, l’adulte restera fragile et on pourra le manipuler par la honte, la peur, la culpabilité, le chantage.
Il est des familles où on ne touche jamais un enfant ,il n’y a pas de coups , mais il n’y a pas de tendresse non plus. Les violences passent par des conditionnements, par des chantages affectifs, par des plaintes, des culpabilisations plus ou moins insidieuses , par des lavages de cerveau, par des interdictions ou des exigences excessives et prématurées.
Les parents manipulent la honte; la peur, la culpabilité et le chantage affectif:-si tu veux que maman t’aime, fais ceci ou cela
-tu vois bien que tu fais pleurer maman
-tu me fais mourir de chagrin
–Les parents font des prédictions créatrices négatives:
tu ne feras rien de ta vie
tu ne rendras jamais un homme heureux
Tu finiras en prison-tu vas tuer ta mère
ou utilisent des menaces”on va te donner aux romanichels”
attaque de territoire affectif et cognitif
Une des violences les plus ordinaires existe lorsqu’on attaque un territoire d’implication de l’autre : son visage, ses convictions, sa cuisine, sa musique préférée, sa sexualité:
par exemple: un parent dit:” cela ne te gêne pas de regarder des débilités comme ça à ton âge?”
“comment tu peux aimer cette musique débile?”
“comment tu peux sortir avec cette fille si moche?”
“ton copain, il a pas l’air futé”
-les agressions-souvenir sont banalisées et ordinaires
-dire devant tout le monde , dans une réunion de famille
:”il a fait pipi au lit jusqu’à 12 ans”.
”elle était grosse quand elle était petite, c’était incroyable”
– les bourrades pour “rire”
-prendre une personne de la famille comme tête de turc.
Lorsque les parents ont réussi à écraser définitivement la capacité de l’enfant à dire NON et que celui-ci est dans une soumission absolue et définitive, alors c’est une situation de violence majeure.
Les enfants écrasés feront des adultes fragiles qui continueront à être écrasés par les patrons, les chefs de bureaux.
2/les violences à l’école
par situations passives
-Lorsque dans les écoles primaires, les besoins de pudeur et de protection des enfants sont frustrés ,lorsque les portes des cabinets ne ferment pas , lorsqu’il n’y a pas de papiers toilette, lorsque l’enfant doit s’essuyer avec le doigt puis laisser ses traces sur les murs, l’enfant en entier est pris dans un étau .
par exigences actives
-demander à un enfant de surveiller ses camarades et être responsable du désordre.
par prédictions négatives
Les violences symboliques mettent le jeu le langage .Le violent utilise les mots comme des coups, comme des armes , pour humilier, détruire, asservir l’autre.
Lorsqu’à l’école un instituteur (rice) se permet de dire à un enfant “Tu n’arriveras à rien”,”toujours aussi sale!” l’enfant entend l’anathème à tous les niveaux , il le vit dans son corps et devient maladroit. Son corps se rigidifie sous le coup, il est tétanisé.
La tonicité se fragmente, le dos est tendu mais la bouche s’ouvre et lui donne “l’air idiot” , la respiration s’accélère ou se bloque, le ventre se liquéfie, la tête se vide. L’enfant est en état de stress et ne peut pas fuir.
Les mots des enseignants ont parfois une portée affective traumatisante, dont les adultes se souviennent de nombreuses années plus tard.
-on ne fera jamais rien de toi
-si tu es nul en maths, tu ne feras jamais d’études
-alors machin, encore 3/20 ,on se demande si un jour tu vas comprendre!
-toujours aussi sale!
3/les violences symboliques à l’hôpital
-exposer la nudité des patients sans l’avertir, sans l’y préparer.
– Lorsqu’un médecin passe devant le lit d’un malade sans le regarder, sans lui adresser la parole, en claironnant “ Alors la petite du 13, elle a mangé ce matin? et l’hépatite , au 46, elle a fait ses celles ? “, la violence vécue par le patient est intolérable. Ramené à un numéro, ignoré dans ses besoins de reconnaissance et de respect, infantilisé par un adulte censé être protecteur et soignant, le malade est chosifié.
Lorsque le “psy” dit à sa patiente abusée sexuellement :“Mais si vous n’avez pas dit non , c’est parce que vous aviez le désir inconscient que votre père vous touche , (sous entendu qu’il vous mette son pénis dans votre bouche, qu’il vous oblige à vous masturber devant lui etc…) , il injurie sa patiente et porte atteinte à son intégrité corporelle, en la survictimisant .
4/violence du silence:
Les violences symboliques passent par le langage mais aussi par l’absence de langage.Violence du silence: “Je ne te parle plus”, menace courante chez les enfants qui ont appris la douleur du silence prémédité. La rupture de la communication frustre lourdement le besoin fondamental de l’être humain d’être en relation.
Réduire l’enfant au silence , c’est le tuer psychologiquement. Tuer sa parole qu’elle soit verbale, émotionnelle, corporelle , c’est nier son existence. Ne rien montrer sur son visage, rester de marbre, ne rien dire , ne pas réagir aux émotions d’autrui. C’est la loi du silence. C’est la souffrance du vide affectif, du manque relationnel, de l’absence d’autrui. Parler à un mur, ne jamais être écouté ou alors être pris dans les mailles de l’autre pervers qui joue de son pouvoir de parole.
Couper la parole de l’enfant, parler à sa place, ne jamais tenir parole envers lui, autant de violences symboliques que le petit vit dans son corps comme une bousculade, dans une négation de lui-même, comme une offense à son statut d’humain. C’est l’enfant en entier qui est ébranlé, car tous les niveaux d’organisation de l’humain (tonique, sensoriel, affectif, représentatif, langagier pour ce qui est du psychomoteur) sont alors disloqués.
-”je ne te parle plus”- menace courante chez les enfants qui ont bien compris l’importance des mots pour être dans une relation humanisante.
-le parent qui ne parle plus à son enfant le prive d’un besoin fondamental, celui de communiquer et de s’exprimer.5/ le mensonge Pour la plupart des humains et plus particulièrement pour les enfants, le mensonge est plus grave que la violence
Dans la cas d’une violence physique, ce n’est pas la violence qui est importante mais c’est le mensonge de parents:
“je te fais mal pour ton bien” disent-ils .C’est prendre l’enfant pour quelqu’un que l’on peut berner alors qu’il sait très bien ce qui se passe. C’est surtout entraîner l’enfant à apprendre la base de la perversion qui est de mélanger amour et souffrance .
6/violences symboliques socialisées
La violence symbolique des affiches de pub dans le métro et dans la rue, à la télévision et dans les journaux: quand la propagande fait croire qu’on n’est pas normal, pas beau , pas intelligent, pas sexy, si on ne mange pas tel ou tel produit, si on ne met pas tel ou tel parfum,si on n’achète pas telle ou elle voiture etc..
Aujourd’hui, on repère des micro-violences insidieuses parcequ’elles ne détruisent pas tout de suite et que les humains ont des systèmes pour s’en protéger un peu .
-les crachats dans les escaliers des immeubles
-les insultes sur les tableaux
– la dégradation des lieux communs
-les violences par incivilité, bousculades, insultes agressivité,vandalisme
Les postures et gestes corporels sont également vecteur des violences psychologiques : les bras d’honneur, des doigts, les crachats, les regards méprisants sont autant de manifestations du besoin d’une personne de salir et de détruire son congénère.
6/les familles anomiques
Dans une famille qui va relativement bien, la parole sert à expliquer aux enfants, elle décrit le monde et explique, elle donne des conseils, elle indique les interdictions. Les violences symboliques sont rares et elles se discutent si elles s’engagent. Mais dans les familles anomiques , la parole ne circule pas bien et ne remplit pas sa fonction informative. Elle est interdictrice et agressive “ tais-toi! ne fais pas ci!, ne fais pas ça !, ne bouge pas! “.Il y a beaucoup d’injures, d’interdictions, d’interjections, de lamentations, de culpabilisation. Alors ces enfants arrivent à l’école et ils ont du mal à comprendre l’indicatif, le passé, le futur. La grammaire est pour eux peu utile et peu utilisée car pour injurier ou pour interdire, on n’a besoin ni du passé, ni d’avenir, ni de déclinaisons.
–la 2ème caractéristique de la famille anomique c’est son incohérence : la famille peut être chaleureuse “mon petit chéri, je n’ai que toi au monde, tu es le plus beau! heureusement que tu es là”
et puis 10 minutes après “qu’est-ce qu’il gâche ma vie celui-là! qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour avoir un môme pareil!”
— la 3ème caratéristique, c’est la violence entre le père et la mère, entre le frère ainé et la soeur, avec des cris, et souvent des coups. l’enfant est tantôt hyper-aimé, tantôt fétiche, tantôt détesté.
Alors tout ce qui est dit sur ces familles est à la fois juste et incomplet
car on s‘aperçoit qu’il y a 2 poids 2 mesures
*si un enfant de bonne famille vole un bonbon à l’étalage; on dit :“pauvre petit il a des problèmes et il faut l’emmener voir le psychologue”
Dans les familles violentes, il existe une escalade et une diffusion des violences symboliques au fur et à mesure du développement de l’enfant. Après avoir été interdit d’expression, de penser, d’avoir un sens critique, l’enfant plus grand se voit attaqué dans son territoire d’implication.
Les dévalorisations de la vie affective, sensorielle, sexuelle du jeune s’inscrivent dans le corps comme un coup “de poignard”. Les humiliations creusent le ventre et la violence subit s’enracine pour sortir un jour plus tard, sur les autres ou sur soi.
La non reconnaissance, la culpabilisation, la dévalorisation, le dénigrement systématique entraînent l’inhibition de la personne . Si les réactions peuvent parfois être violentes dans les heures,jours ou années qui suivent, le sujet reste au fond de lui dans une insécurité émotionnelle permanente, dans un manque de confiance en soi et dans une méfiance parfois emprisonnante vis à vis des autres.
III/CONCLUSION
Face aux violences symboliques, l’être humain réagit avec des systèmes de défense plus ou moins bien adaptés en fonction de l’apprentissage qu’il en aura eu dans son enfance. Les angoisses associées aux formes d’agression subies sont toujours liées aux besoins fondamentaux mis en péril : angoisses d’invasion liées à la frustration des besoins de sécurité et de respect, angoisses de vidage liées à la privation des besoins de mise en sens et de structuration des situations , angoisses de mort associées à la perte de considération et de reconnaissance de soi par autrui.
Actuellement nous devons nous inquiéter en constatant
que les violences symboliques se déploient d’une façon alarmante sur le corps de
la société. Les graffitis, certains tags, les actes de dégradation des
murs, des immeubles , des voitures , les
incivilités , les micro-agressions trop courantes et banalisées sont les
symptômes d’une perte de confiance dans l’humain.
[1] Igor REITZMAN- Longuement subir puis détruire.Edts Dissonance.Paris