L’enveloppe tonique primitive est constituée d’une base tonique innée, un tonus de base, vie sensible du muscle et une organisation tonique spécifique  toutes deux définies par le système nerveux central: un tonus musculaire fort dans les fléchisseurs des membres supérieurs et inférieurs, un tonus faible  des extenseurs des membres,  un tonus général  faible dans les muscles du dos et de la nuque.

 Cette organisation neurologique, comme toute organisation neurologique vise le maintien de la vie et la cohérence interne face aux stimulations (1).

 Cette organisation entraîne le corps dans la position d’enroulement ou position foetale qui est une posture fondamentale et qui procure  à l’enfant une première forme psychocorporelle dans l’espace, forme enveloppée d’une gaine tonico-émotionnelle réactive, vibrante, réceptrice et émettrice. Les premières représentations de ce corps sont des ronds que les enfants, dès 18 mois, tracent sur le papier.

 Les premières enveloppes toniques  sont colorées individuellement par les données génétiques, les stimulations  acquises pendant la grossesse, les réponses au stress de l’accouchement. Sur une base commune universelle, les voila déjà  transformées dans leur structure, leur densité et dans leur réactivité aux stimulations.

A/Les premières expériences psychocorporelles

 Cependant, les réactions du bébé aux stimulations sont universelles : une hausse tonique accompagnée d’états émotionnels de stress signalent le malaise quand la stimulation est forte, et une baisse tonique accompagnée d’états émotionnels de détente  signalent la fin de la tension lorsque l’enfant est secouru, consolé, enveloppé par les gestes et les mots de ses parents.

 L’enfant mobilisé émotionnellement par la tension inhérente à l’apparition d’un besoin, se trouve dans une gaine resserrée, tendue, plus ou moins irritée. Il tente de repousser vers le dehors toutes les motions douloureuses qui l’envahissent, du malaise jusqu’à l’angoisse par un mécanisme de projection. Il bouge, pleure, alerte son parent qui vient l’écouter, le nourrir, le bercer, lui parler et donner du sens à ce qui se passe. Le parent a cherché la cohérence entre les signaux de l’enfant et ses possibilités de réactions pour répondre aux cris et aux pleurs. Le cerveau du bébé a  ajusté et accepté la réponse du parent. Tout va dans le sens du maintien de la vie et du maintien des liens. Les stimulations douloureuses de l’enfant sont alors désintoxiquées (2), soutenues dans le hamac émotionnel  proposé par le parent (3)  Elles sont intégrées dans un réseau de sens. L’enfant se sent compris, interprété dans ce qu’il est en train de vivre. Il se sent aimé parce que compris .Il  est délivré du mal, reconnu, valorisé. Il installe à l’intérieur de lui des bons éléments de la relation. C’est le processus d’introjection qui est à l’oeuvre (4). 

Alors l’enveloppe hypertonique réactive  se détend et devient une large enveloppe souple de détente et de satisfaction. Le monde de l’enfant devient  un paradis. Puis à nouveau les sensations douloureuses du besoin se font sentir  et à nouveau son enveloppe tonique  se durcit, l’enfant pleure, il est insatisfait, il a mal et à nouveau le parent borde l’enfant.

Lorsque s’établit un rythme interactif suffisant, l’enfant passe d’un pôle tonique à un autre, de la projection à l’introjection. C’est la respiration psychique et psychomotrice. Ses enveloppes primitives comme des poumons se tendent, se gonflent puis se détendent.

Les premières représentations de soi parlent du monde biopsychique de l’enfant et des métamorphoses de l’enveloppe tonique : des ronds, des tourbillons, des traits, des  pointillés (5).

Dans ces temps primitifs de la psyché, le fonctionnement psychocorporel est basé sur cette respiration et il est bipolaire : c’est tendu ou détendu, c’est pas bon ou c’est bon. Les réactions toniques sont prises dans un processus d’étayage psychomoteur (6) qui met en échoisation et en lien les différents niveaux tonique, sensoriel, affectif et représentatif. Chaque variation de tension fera naître des états sensoriels particuliers, des fragments affectifs en écho avec les états précédents et des débuts de représentations, des mots des parents qui s’inscrivent, des fantasmes qui se créent.

 Le processus d’étayage psychotonique assure une fonction fondatrice de l’humain : préparer la pensée  sur soi  et sur le monde (7). C’est d ‘abord un processus en ceci ou cela, c’est bon ou c’est pas bon, c’est noir ou blanc, c’est dur ou mou, je suis tranquille ou je suis en danger, je suis tout ou je suis rien.

Puis progressivement, avec la confiance qui s’installe entre l’enfant et son environnement,  aidé dans son développement psychomoteur  par la maturation du snc, l’enfant  agit et  pense en ceci et cela. Il reconnaît et  accepte  l’autre, l’altérité, la différence. Il accède  à la  cohabitation des motions affectives et représentatives opposées, au jeu musculaire agoniste antagoniste, à la démocratie psychomotrice.

Il acquiert une ambivalence psychomotrice. Sa  pensée se complexifie et  il sort de son état sensoriel et tonique réflexe  pour entrer dans le monde de l’affect, du  sens et du symbole.

B/les premières représentations de soi.

Les premières représentations fantasmées  de l’enfant  satisfait dans ses demandes

sont celles  d’un vainqueur, d’un roi, d’un dieu qui règne sur le monde. Les premières représentations fantasmées de l’enfant insatisfait dans ses besoins de base et impuissant  sont celles d’un pauvre hère, sale, dévalorisé et le corps abîmé.

Ces deux fantasmes primitifs sont source d’inquiétude pour certains parents. Ils ont une connaissance innée de cette enveloppe tonique fantasmée comme un triomphe  de  l’enfant suffisamment satisfait et de l’enveloppe déchirée,  vécue comme un échec  de l’enfant en détresse, et ils laissent pleurer les bébés de quelques semaines voire de quelques jours. 

 « Je le laisse pleurer sinon il va se croire un enfant roi ; je le laisse pleurer qu’il se rende compte qu’il  n’est pas le roi sur terre, qu’il ne peut pas tout faire ; je le laisse pleurer car c’est un malin et un manipulateur : dès qu’on le prend  dans les bras il s’arrête ; je le laisse pleurer sinon c’est l’escalade et il prendra le pouvoir à l’adolescence ».

Dans un autre sens,  lorsque c’est l’échec qui est réactivé  chez certains parents,

on entend : « je le laisse pleurer car il doit apprendre le plus tôt possible que la vie est dure ; il doit se préparer à la frustration et au manque ; il doit s’adapter au rythme des adultes ».

Que ce soit dans un sens ou dans un autre, ce sont les premières expériences de tensions des parents, des expériences de durcissement ou d’abandon tonique qui sont réveillées et qui n’ont pas été désintoxiquées, ni  remaillées dans du sens, et il y a une  confusion entre avoir un sentiment, fantasmer un état et passer à l’acte.

Nous sommes devant un problème de non différenciation et de limites, que je retrouve chez ces parents qui, par peur du débordement émotionnel de l’enfant, opposent des stratégies qui vont à l’encontre de son  besoin d’un enveloppement affectif sécurisant.

C/ les angoisses primitives

Les angoisses primitives participent à la  transformation des enveloppes précoces.

Tout ce que  nous avons eu à vivre  dans ces temps primitifs comme  expériences  désagréables et agréables, se sont accompagnées  de douleurs viscérales et musculaires, de malaises, de troubles neuro végétatifs, de détentes, de décompressions et de sensations de bien  être. Lorsque le stress se répète  de manière chronique, le paysage sensoriel de l’enfant s’appauvrit et s’installe dans des sensations dures, piquantes, froides et désagréables. Le jeu  tension/détente, bonnes sensations/mauvaises sensations, projection/introjection ne se fait plus d’une manière rythmée et intégrative. La prévalence du pôle tendu et dur  sur le pôle détendu et mou entraîne un arrêt du processus intégratif.

C’est  un signal d’alerte pour le Soi qui ne peut plus se développer et les angoisses primitives apparaissent et parlent des dangers de mort (8).

Pour un bébé, le danger de mort est d’abord de ne pas pouvoir assurer les processus vitaux de liens : intégrer les liens articulaires entres les différents os du corps, établir du lien entre les différentes parties de soi et les différents niveaux d’organisation de soi : être entier et poursuivre son développement, et établir  des liens avec un  autrui  poussé par la pulsion d’attachement. Puis lorsque la notion d’enveloppe  est acquise vers le 9 ème mois, le danger sera de ne pas pouvoir conserver une enveloppe contenante solide et étanche.

La pulsion psychomotrice  vise la cohérence et la cohésion entre le corps et la psyché et elle a pour objectif le développement d’un soi global en passant par une échoisation, des résonances, des interactions entre les  différentes parties du squelette, des articulations, des tendons, des muscles et des organes et entre les différents  niveaux d’organisation, tonique, sensoriel, affectif et représentatif.

 Le premier danger sera l’impossibilité de maintenir les liens entre les différentes parties du squelette et des organes  et d’être démantelé, démembré, éparpillé, éclaté en 1000 morceaux. Ce vécu entraîne une crainte de l’effondrement de soi (9). Le réflexe de Moro vient vérifier la capacité du cerveau à rassembler le corps de l’enfant  après un stress proprioceptif  et cette capacité innée devra être soutenue par un étayage relationnel suffisamment bon pour s’intégrer comme un système de défense efficace.

Le deuxième danger sera de ne plus être en étayage, en échoïsation avec les autres niveaux d’organisation et de sentir des coupures entre les sensations et la pensée, entre les images et les affects, entre « le corps et la tête ». Ces angoisses sont accompagnées de crispations et de rétentions toniques  qui font tenir ensemble les différentes parties de soi ou de chutes et  abandons toniques qui s’accompagnent de désespoir et d’angoisses de liquéfaction. Les sensations liées à ce durcissement musculaire prépare les fantasmes d’armure, de cuirasse, de personnage indestructible.

La pulsion d’attachement  vise la cohérence et la cohésion entre soi et autrui. Elle a pour objectif de créer un noyau de sécurité qui permettra à l’enfant d’exister entier en l’absence d’autrui. Aussi  lorsque le processus d’attachement ne peut pas s’établir dans la sécurité, les  angoisses  seront de l’ordre de la perte de contact avec la réalité, avec l’autre et avec soi-même : angoisses d’être perdu dans l’espace,  d’être aspiré dans l’espace infini, de disparaître.

 Les productions fantasmées seront associées à des personnages munis de pouvoirs magiques, d’apparaître et de disparaître.

Quant aux angoisses liées plus particulièrement à l’enveloppe, elles sont plus fortes lorsque l’enfant ressent sa peau séparée de celle de sa mère, vers le 9 ème mois, se sentir séparé met dans une certaine vulnérabilité.

Le danger  vient du dedans  si l’enveloppe  ne contient pas le monde sensoriel, affectif et représentatif de l’enfant. Les angoisses d’éclatement, d’explosion s’accolent aux surtensions internes. Le danger vient également du dehors : le risque est d’être  percé, déchiré, abîmé ou de se faire déchiqueté : les angoisses de  perdre du  sang ou de perdre les forces de vie par les ouvertures, de se vider et  des angoisses d’être rempli de choses infectes, d’être contaminé.

 Les monstres dévorateurs, les ogres sont des images associées à ces sensations primitives. Les aliens qui prennent possession des intérieurs humains viennent parler de ces angoisses primitives.

C/L’action des hormones et des neuromédiateurs

Un autre élément va participer à la transformation des enveloppes toniques primitives, c’est le système hormonal. Le cerveau libère des hormones au moment des stress qui mobilisent le corps au niveau neurovégétatif et hormonal et  dans le même temps, il libère des morphines naturelles, les endorphines qui viennent atténuer  la douleur.

Or, on sait  que la chronicité du stress et la stagnation des hormones de stress a des effets délétères sur l’organisme avec la destruction des cellules émotionnelles de l’hippocampe (10), et un déséquilibre au niveau du sucre qui favorisera plus tard, pour certains des addictions au sucre. L’anesthésie émotionnelle et l’anesthésie liée au  travail des endorphines donnent à l’enfant la sensation d’être en fer ou en pierre. Les angoisses de dévitalisation, de robotisation, ou d’être un objet dévitalisé sont présentes.  Les personnages indestructibles, en fer, qui ne peuvent pas avoir mal sont des représentations imagées de ces angoisses archaïques.

 Les neuromédiateurs jouent également un rôle important dans les transformations fantasmées de l’enveloppe primitive notamment la sérotonine qui fait défaut chez l’enfant stressé et qui le laisse sans amortisseurs des chocs émotionnels. Toute émotion provoque uns déstabilisation interne, un tsunami qui submerge l’enfant.

D/ Clinique

Dans ma clinique de psychothérapeute et de psychomotricienne, je suis amenée à prendre soin d’enfants dont les fantasmes ont des caractéristiques communes et dont les histoires bien que différentes  ont également des données communes.

Chez les enfants  qui se sont construits dans un environnement émotionnellement  stable et suffisamment nourrissant au niveau affectif, les angoisses primitives ont été digérées, refoulées,  élaborées. Leur monde fantasmatique est un monde optimiste : les gentils combattent les méchants et sont vainqueurs, des invitations se font entre personnages, une collaboration est possible face à un danger.

Mais les angoisses primitives  restent  toujours actives chez les enfants qui vivent dans un milieu où les abus corporels et émotionnels sont largement présents. Aussi,  les enfants, mus par ces angoisses, expriment à travers leurs  fantasmes à la fois leur souffrance, leur mode de défense, et parfois comment ils aimeraient s’en sortir.

 C’est un monde où la pensée est basée sur l’exclusion- c’est toi ou c’est moi – il n’y a pas de place pour 2 – c’est blanc ou noir – exclusion de celui qui n’est pas comme moi. Il n’y a pas de  stratégies élaborées mais une répétition  ruminatoire  avec   une jouissance  morbide. Je note une  absence de symbolisme et de métaphorisation et une difficulté à discriminer les sensations, les affects, les images.

C’est toute la logique de la violence qui est présente.

L’enfant tendu, est dans la peau d’un  méchant qui détruit tout, qui est le plus fort, sans empathie , sans pitié . L’autre, la victime, c’est tant pis pour lui.

 Je peux penser  que ces fantasmes violents  permettent de  contenir les angoisses, de les envelopper, de les border et d’amener un soulagement provisoire. Ils donnent également à l’enfant un certain plaisir dans la maîtrise de la situation et ils permettent également d’articuler ce que le sujet ressent et ce qu’il voit de la réalité externe. Mais comme ils sont construits dans l’intimité de la souffrance, dans la solitude émotionnelle, sans échange possible avec un autre qui ouvrirait le sens, ils ne servent  jamais à une réparation, à une cicatrisation affective ou  à une intégration,

et ils peuvent devenir un  poison pour l’enfant.

Les fantasmes de ces enfants qui ont entre 4 et 6 ans sont également alimentés et confirmés par la télévision, les films, les jeux ordinateurs. Des études montrent que l’enfant au delà d’un certain temps de visualisation de la télévision vit des distorsions de son schéma corporel qui se mêlent au tumulte émotionnel déstabilisant (11). Les dysfonctionnements éducatifs et notamment la violence éducative (12) sous la forme de  fessées et gifles participent à la transformation  des images de soi.

Vignette clinique :

Léo. 4 ans 1/2  est vif, intelligent mais il ne joue  qu’avec des avions, des voitures et des hélicoptères. Il bouge sans cesse, n’arrive pas à parler tranquillement mais il crie, il est agressif à l’école. Il n’a pas de frein langagier et émotionnel. Il s’accroche à sa voiture préférée et dit que c’est une voiture enfant. Ses scénarii sont toujours les mêmes : la voiture est bloquée de toute part. Il saisit alors un hélicoptère et fonce sur les barrages. Il détruit tout. Un avion le poursuit et veut le garder comme son serviteur.

 Si je tente de jouer avec lui, il fonce sur ma voiture et la détruit. Il est à la fois agresseur et agressé. Cette identification à l’agresseur vient dénoncer des abus émotionnels vécus par l’enfant dans sa famille.

Je nomme les abus psychologiques, l’emprise dévoratrice des avions sur les voitures et je nomme l’interdiction de la violence. Après plusieurs séances, il laisse les voitures et prend les dinosaures, qui à leur tour détruisent, déchiquètent et dévorent les autres animaux.

Progressivement, avec le processus thérapeutique, il est sorti de l’anesthésie sensorielle et affective de la robotisation des voitures et des avions. Il a le sang chaud. Il est passé dans le monde des animaux puissants, dangereux et pulsionnels.

 Je considère à cette étape que l’anesthésie émotionnelle et affective se résorbe mais il n’a pas encore introduit d’humain dans ses jeux. Il n’est pas encore dans sa peau, même s’il va mieux, même si à l’école il est moins violent. Il est encore terrorisé et persécuté par ses objets internes issus de son désespoir. Ses enveloppes toniques ne sont pas encore suffisamment contenantes.

Dans cette petite vignette clinique, on s’aperçoit que l’enfant  est  resté à un stade  bipolaire infantile dans les représentations qu’il a de lui et du monde. Il est en stase psychomotrice.

On trouve également un processus de régression à ce stade primitif, lorsque l’enfant vit des violences émotionnelles ou corporelles à un moment de sa vie. Des études récentes en neurosciences  montrent que la réponse du cerveau aux agressions est de revenir à un stade immature en accumulant du chlore dans les neurones (13).

L’enfant se retrouve avec un cerveau qui fonctionne comme celui d’un plus petit, ce qui va jouer sur son comportement réactif et impulsif,  par l’activité motrice désordonnée, les crises de colère et  de rage, par les terreurs nocturnes et les impulsivités.

E/ L’aide à l’intégration psychomotrice

Alors comment aider ces enfants ? Sans détailler le déroulement complet du processus thérapeutique, je peux souligner des actes de soin qui me semblent importants.

 1/ tout d’abord, permettre l’expression des fantasmes en présence d’un  psychomotricien est une première marche intégrative et trouver un langage analogique sous diverses formes pour parler de la violence intérieure, par métaphores,  symboles,  récits, scénario.

Puis dans un mouvement transmodal, passer du jeu au dessin, du dessin à la construction en pâte à modeler, aux mimes, aux marionnettes, au  découpage. C’est passer d’un niveau de représentation à un autre niveau de représentation et cela favorise la fluidité psychique de l’enfant.

 2/ penser la violence et permettre l’expression de la violence intériorisée : que fait le monstre, le robot, dans les détails, comment il détruit, ce qu’il ressent lorsqu’il détruit. Si l’enfant est dans un interdit de penser, il est important d ‘aller vers penser l’interdit sous forme de jeux de rôles ou de psychodrames.

3/ valoriser les systèmes de défense  ayant permis la survie et en faire le deuil.

Etre dur, c’est se protéger. Etre violent,  c’est faire peur à l’autre comme on a eu peur soi-même. La vengeance est là. La reconnaître, c’est accepter des sentiments dits négatifs en soi et c’est se revaloriser. 

4/ relancer le processus intégratif en allant au bout du pôle noir et tendu : se sentir dur comme une voiture, rugir comme  le monstre, puis passer au pôle opposé, une relaxation : les souris dansent quand le chat n’est pas là. L’alternance des polarités relance un rythme primaire et le processus intégratif.

 Pour certains enfants, la présence empathique du thérapeute, son accompagnement bienveillant, son travail d’enveloppement verbal qui nomme et éclaire leurs mouvements, son travail d’enveloppement tactile et sonore qui contient leur monde émotionnel  ne sont pas  suffisants pour leur permettre de réorganiser leur  vie affective et psychique. Il nous faut aller plus loin et entrer dans le monde du fantasme de l’enfant.

  Lorsqu’un enfant est tendu, court dans la pièce de psychomotricité,  grimpe et descend d’un espalier dans une vertigineuse répétition, que nous dit-il de son monde interne et de ses émotions. Nous pouvons sans doute détecter des mimiques émotionnelles et les nommer, nous pouvons penser à son angoisse, mais nous ne  pouvons   guère aller plus loin. Il faudrait être devin et c’est  tout ce que ne veut pas le psychomotricien : être un sorcier, un charlatan, dans  la connaissance de l’autre qui devient emprise. 

L’écoute et l’accompagnement vont  aider l’enfant à  se détendre parce qu’il aura devant lui un adulte bienveillant qui s’offrira comme  figure de contre identification parentale. Il pourra alors se calmer, se détendre. Et cette ouverture est la condition nécessaire à une relance intégrative. Certains enfants vont  profiter de cette ouverture et ils vont se réapproprier leur scolarité, retisser une sécurité dans la relation avec autrui,  impulser leur créativité et leur imaginaire, reconquérir leur envie de découvrir. 

Mais tous les enfants ne sont pas aussi gratifiants pour le psychomotricien.   

Certains enfants sont bloqués dans des systèmes de défense contraignants, dont la forme externe est l’hypertonicité, l’hyperactivité et l’hypersensibilité.

Il ne suffit pas d’être respectueux, accompagnants, patients et enveloppant avec eux pour  débloquer leur sidération psychique et assouplir leur carapace hypertonique car celle-ci est doublée d’une anesthésie  sensorielle  et émotionnelle puissante.

 Il y a des atteintes physiologiques réelles, des destructions réelles de cellules émotionnelles et de cellules musculaires, des  insuffisances réelles de certains  neuromédiateurs.

Sous l’impact des angoisses primitives, ces   enfants  se sont  durcis, pour se tenir seuls dans leur corps et dans leur tête.  Ils se sont anesthésiés pour ne pas souffrir de cette robotisation et de cette perte vitale. Et ils nous demandent plus qu’un ajustement tonique. Ils nous invitent à entrer dans leurs fantasmes, à entrer dans leurs représentations corporelles.  Ils parlent de leur histoire, de ce qui leur est arrivé depuis la naissance .Ils nous racontent leur vie : mon corps est devenu dur quand j’ai eu mal, et pour me défendre et survivre j’ai fait plus dur que dur et pour m’en sortir aujourd’hui, je mets cette dureté dehors en étant agressif, violent, agité, persécuteur car je suis terrorisé et persécuté par des images  terrifiantes.

Je voudrais une clé pour sortir de cette prison tonique,  pourrait continuer l’enfant

mais  je ne veux pas  la quitter, parce qu’elle m’a  aidé  à survivre  et à vivre.

Pourtant je sens au fond de moi que je veux me développer.

Si   l’enfant pouvait être aussi clair dans sa demande thérapeutique, nous serions vite orientés sur l’aide à lui apporter. Mais il n’en est rien. Alors  nous avons un travail particulier à faire au niveau du corps, pour relancer la dynamique de vie. Nous avons à nous occuper du corps imaginaire. Ce que l’enfant joue  avec ses voitures et ses personnages, c’est son corps imaginaire. Ce sont les transformations fantasmées de  ses premières enveloppes toniques. Celles-ci sont restées amalgamées par les souffrances précoces, par les pleurs, les douleurs, les tensions. 

Dans le jeu de l’enfant, dans le dialogue tonique qu’il met en scène  entre des éléments durs et des éléments mous,  nous comprenons qu’il rejoue l’histoire de ses premières enveloppes.

En  nommant la victime et l’agresseur, le besoin de consolation et de détente, le dur contre le  dur,  le dur pour être fort et survivre, nous  parlons  au petit bébé tétanisé et débordé par ses tensions corporelles et par ses émotions. Et par étayage, tous les niveaux d’organisation sont émus, remués, réveillés, alertés.

En soutenant l’enfant dans sa réalité fantasmatique, nous légitimons ses processus défensifs et nous dialoguons avec son corps imaginaire pour entrer en contact avec  le corps réel blessé. Et   notre échange verbal et tonique devient alors un espace symbolique. Lorsque nous tenons compte des qualités d’angoisses primitives, celles concernant les liens et celles concernant les enveloppes, nous donnons  une chance supplémentaire à l’enfant de reconquérir sa vitalité.

 Lorsque nous enveloppons les enfants dans des couvertures douillettes et enroulantes, lorsque nous nommons leurs enveloppes dures comme les voitures, lorsque nous leur faisons taper des rythmes,  nous nous  adressons au corps présent mais en écho à leur corps d’infans. Nous réactivons ainsi  chez  l’enfant la dialectique des opposés  et le processus intégratif.  En regardant le corps imaginaire proposé dans les fantasmes comme un reflet du  corps réel, nous sommes un témoin de l’histoire de l’enfant  et nous croyons ce qu’il nous dit.

La  connaissance des angoisses primitives, des liens qu’elles entretiennent avec les tensions corporelles ,  loin de nous éloigner de notre métier,  de notre éthique, loin de nous mécaniser , nous donne une assise importante et des racines dans le  monde du soin. Le patient et le thérapeute se transforment à l’occasion de cette rencontre et se réalisent dans l’ici et maintenant, se chargent d’énergie vitale pour les surprises et les créations de l’avenir.

F/Conclusion

J’ai traité aujourd’hui des difficultés que rencontrent certains enfants dont les enveloppes primitives ne se sont pas suffisamment diversifiées, ni séparées des angoisses primitives inhérentes à notre condition d’humain.

Ces enfants restent à un stade infantile précoce dans le traitement des informations et dans l’organisation de leur psyché.

Ils ne peuvent parler d’eux, corporellement et affectivement que sur un mode brutal, violent et à  travers  des fantasmes de lutte pour la vie.

Le psychomotricien dans son travail spécifique sur le corps et ses représentations

 permet l’hydratation sensorielle et tonique de ces enveloppes rigidifiées par la souffrance. L’enfant est alors activé dans  sa croissance et dans son activité préfrontale (14). Il passe de la fixité au mouvement, de la stase à la fluidité et  de la répétition à la créativité. Ses enveloppes psychotoniques acquièrent du  moelleux,  de l’épaisseur et de la solidité  et l’enfant grandit en étant ému et touché par autrui. C’est la base de la solidarité.

Il passe de la rigidité à la souplesse, de la fermeture à l’ouverture. La communication avec autrui devient  moins dangereuse et l’enfant passe de l’angoisse au plaisir,  de passivité à l’activité, de la dissociation à l’intégration.

1. ROBERT-OUVRAY S.B, Intégration motrice et développement psychique, Paris, Desclée de Brouwer, 1993.

2. BION W.R, Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1979.

3. Robert-Ouvray S.B, Mal élevé, le drame de l’enfant sans limites, Paris, Desclée de Brouwer,2004.

4. WINNICOTT D, »L’intégration du Moi chez l’enfant », in Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1962.

5. MARC V, O, Premiers dessins d’enfants, Paris, Nathan, 2002.

6. ROBERT-OUVRAY  S.B, L’enfant tonique et sa mère, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

7. DAMASIO A. Le sentiment même de soi, Paris. Odile  Jacob.1999.

8. BEGOIN J,  « Névrose et traumatisme », Rev. Fr. Psychanal.  N°3, p.999-1019. 1987.

 « Introduction à la notion de souffrance psychique : le désespoir d’être », Rev. Fr. Psychanal.  N°1, 619-641. 1989.

9. WINNICOTT D, « La crainte de l’effondrement » in Nouvelle revue de psychanalyse, Paris, Gallimard, n°11,1975.

10. GAUVAIN-PIQUARD A, MEIGNIER M, La douleur chez l’enfant.Paris, Calmann-Lévy, 1993.

11.WINTERSTEIN P, Trop de télévision rend idiot, Christian Seel, in Die Welt. courrier international , n° 811 du 18 mai,  2006.

12. MAUREL O,  La fessée, Sète, ed La Plage, 2004.

13.  Recherche de Yehezkel BEN-ARI,  Unité de recherche Inserm,  2005.

14.FRADIN J et F, La thérapie neurocognitive et comportementale ,Paris, EPU, 2004 .